En 1906, le neuropsychiatre allemand Aloïs Alzheimer a décrit le cerveau dune de ces patientes, August D., atteinte d’une forme de démence non encore répertoriée. Alors qu’elle souffrait de son vivant d’une grave altération de la mémoire, de dépression, de paranoïa et avait perdu toute autonomie, l’autopsie de son cerveau révéla d’étranges « plaques » à l’extérieur des cellules neuronales, ainsi qu’un enchevêtrement de petites fibres logées à l’intérieur, qu’il baptisa « dégénérescence neurofibrillaire ». Encore aujourd’hui, ces deux symptômes valident un diagnostic de la maladie d’Alzheimer, quoiqu’ils ne peuvent être identifiées qu’après la mort du patient.
Jusque dans les années 80, très peu d’études ont été menées sur la maladie.
Mais il y a vingt ans, poussés par la vieillissement de la population et l’augmentation le nombre de malades dans les pays industrialisés, les laboratoires se sont lancés dans la recherche. Et leurs efforts se sont rapidement concentrés sur les ‘’plaques’’ séniles qui contiennent une molécule, baptisée peptide bêta-amyloïdes. Du coup, la voie apparue tracée : pour guérir d’Alzheimer, il suffisait de trouver le moyen de débarrasser le cerveau de ces dépôts de bêta-amyloïdes qui, en s’accumulant dans le cerveau, bloquent la transmission entre les neurones, ce qui les tue à petit feu. Mais après dix ans de recherches, aucun médicament efficace n’a encore vu le jour. Du coup, certains chercheurs agitent, aujourd’hui, une question impensable, il y a seulement quelques mois. Et si l’on s’était trompé sur les vraies causes de la maladie d’Alzheimer ? Sil fallait tout revoir depuis le début ?
« la théorie de l’amyloïde est née au début des années 90, se souvient André Delacourte, directeur de recherche au laboratoire Inserm du vieillissement cérébrales et de la dégénérescence neuronales, à Lille. A l’époque, on a découvert qu’une forme héréditaire de la de la maladie, touchant 0.3% des malades, était liée à une mutation du gène codant pour elle’APP « amyloid protein precuesor » la protéine à partir de laquelle est fabriquée la bêta-amyloïdes.
On a donc parié que la maladie était causée par un dysfonctionnement de la l’APP. D’où la théorie de l’amyloïde, énoncée en 1991 par le neurologue John Hardy. C’était très simple, très beau, et ça à plus à tout le monde. ‘’ À tel point hypothèses est devenue un dogme, inspirant depuis une décennie tous les laboratoires.
Mais il a y deux ans, coup de théâtre : Mark Smith, professeur de biochimie à l’université de Case western reserv, dans elle’Ohio publie un article provocateur dans le quel il réfute tous les arguments des ‘’ pro-amyloïde’’. Si probant que, depuis, nombre de chercheurs ont repris certaines de ses idées. En particulier concernant les modèles animaux sur lesquels s’appuie la théorie depuis dix ans. De fait, pour étudier chez l’homme la maladie, les chercheurs ont crées des souris avec la mutation du gène APP, la protéine précurseur de l’amyloide. Or, ‘’ ces souris ne développent pas les bons symptômes, explique Judes Poirier, directeur du centre du vieillissement à l’université MsGill, à Monterial. Et si les modèles les plus avancés fabriquent beaucoup de plaques, les souris présentent à peine quelque déficile cognitifs et leurs neurones ne meurent pas. Dans ces conditions, comment peut- on s’en servir comme modèle d’Alzheimer ? »
Par ailleurs, les travaux les plus récents menés sur des patients atteints d’Alzheimer nient une corrélation directe entre l’accumulation de plaques et l’apparition de démence. « Il y a des gens qui ont des plaques et qui vont très bien ! », s’exclame Judes Poirier. « A partir de 80 ans, tout le monde développe des plaques dans son cerveau, précise Charles Duyckaerts, professeur de neuropathologie à la salpêtrière, à Paris. Certaines personnes âgées gardent un esprit vif alors qu’elles ont autant d’amas de bêta-amyloïde qu’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer ».
Pour autant, les « pro-amyloïde » ne désarment pas, qui avancent que plus de 3 000 articles parus depuis dix ans démontrent que les plaques sont neurotoxiques et que la bêta-amyloïde tue les neurones de personnes qui développent des plaques. « Ces articles ne prouvent rien, conteste André Delacourte. Les tests in vitro utilisent des quantités de peptide largement supérieures à celles que l’on retrouve dans les cerveaux des malades.
A ces doses, tout est toxique ! » Observant l’évolution d’Alzheimer à l’intérieur de cerveaux de patients décédés à différents stades de la maladie, le neurobiologiste a même constaté que les plaques s’amoncellent en particulier dans une région précise, le cortex occipital , alors que c’est dans cette zone que les cellules meurent en dernier. ‘C’est que les dépôts peptidiques ne sont pas directement reliés à la mort des neurones. »
La bêta-amyloïde serait en réalité un neuroprotecteur !
Il n’empêche : l’an dernier, le laboratoire pharmaceutique Elan testait un vaccin thérapeutique chez l’homme visant à détruire les plaques sénile. Concrètement, 316 malades reçurent au niveau du cerveau de faible dose de bêta-amyloïde afin de favoriser une réponse immunitaire. Mais ces essais ont dû être interrompu en urgence après que 6% des personnes ont développé des encéphalites, parfois mortelles. Fin Mars, Elan divulguait toutefois les résultats de l’autopsie d’une britannique décédée prématurément : son cerveau présentait moins de plaques que dans celui dans d’autres malades non vaccinés. Un signe positif, selon le laboratoire, pour qui le vaccin a fonctionné correctement, même s’il a engendré de funestes effets secondaires. Oui, mais une autre interprétation suggère que le vaccin aurait au contraire, retirait aux patients leurs protections contre la maladie ! Car pour Marck Smith, la bêta-amyloïde serait en réalité un neuroprotecteur, une réaction positive de l’organisme face à une maladie dont on ignore encore les vraies causes. Loin d’être établie, cette thèse a toutefois le mérite de soulever certaines questions. Notamment sur le rôle normal de l’app ; car on trouve cette protéine dans plusieurs régions de l’organisme et tous les scientifiques s’accordent à dire qu’elle a un rôle utile dans le corps humain, même si ce rôle reste inconnu ; dans le cerveau, la protéine paraît ainsi impliquée dans la réincarnation neurale, un processus de compensation qui se met en place entre eux. L’app est alors transformée en bêta-amyloaide au sein des neurones par des enzymes, les bêta et les gamma sécrétases on ne sait pas pourquoi ces enzymes fabriquent de l’amyloïde à partir de l’app, mais elles ont certainement une bonne raison d’exister et d’agir, souligne Judes Poirier ; elles ne sont pas là pour faire du mal à l’organisme et l’empêcher à tout prix d’être produite, comme s’y emploient plusieurs laboratoires, constituerait alors un remède pire que le mal.
Reste que les ‘’anti-amyloïdes’’ n’ont pas vraiment de théorie alternative à proposer aux ‘’pro-amyloïde’’. ‘’c’est qu’il n’y a sans doute pas de cause unique à la maladie d’Alzheimer, avance Andréa Leblanc , neurologue à l’Institut de recherche médicale Lady Davis, à Montérial .plusieurs facteurs de risque ont toutefois été relevés.’’ L’APP joue certainement un rôle important, car un dysfonctionnement de la protéine suffit à créer la maladie dans sa forme héréditaire. Mais le vieillissement en est un autre : il ne faut pas oublier qu’à part les cas familiaux, la plupart des personnes tombent malades après 60 ans. De fait, le cholestérol ainsi qu’une autre mutation génétique liée à une molécule baptisée apolipoproteine E, ou ApoeE, sont appliqués dans l’apparition du syndrome. Ne retrouve-t-on pas un déficit d’une forme particulière de l’ApoE chez 50% des malades ? Enfin, la dégénérescence neurofibrillaire due à la présence d’une protéine, dit tau, l’autre symptôme officiel de l’Alzheimer, a trop longtemps été occulté et certains voient aujourd’hui en elle la clé de la maladie.
Dernière piste : plutôt que de rechercher l’origine de la maladie, Andréa Leblanc est allée voir du coté de ses conséquences finales. ‘’ On oublie qu’en fin de compte, la maladie d’Alzheimer conduit à la mort des neurones’’, explique-t-elle. Or, le processus de mort neuronale est très long : un neurone gravement lésé peut mettre des années à dégénérer. Et si la maladie était alors la conséquence d’une blessure mortelle faite aux cellules du cerveau ? Les plaques et les fibrilles seraient ici les signes d’un lent processus de mise à mort et non la cause de ce processus. La blessure en question pourrait être de toute nature : trop d’APP dans les neurones, le stress oxydatif de la vieillisse, un traumatisme crânien, une inflammation, les séquelles d’une maladie oubliée.
Faute de comprendre les causes exacte de la maladie, de nombreux médecins cherchent à repousser le plus tard possible l’apparition des symptômes, en s’attaquant à ses différents facteurs de risque. Selon une étude publiée en 1998 par l’épidémiologiste américain Ronald Brookmeyer, si on arrive à retarder la maladie de deux ans, sa prévalence est réduite d’au moins 20%, les personnes décédant de vieillisse avant de développer les premiers symptômes de démence. C’est aujourd’hui le seul moyen plausible d’éviter une flambée de nouveaux cas dans les prochaines années.