lundi 4 février 2008

Jeu et psychologie

Rien n’est plus naturel à l’homme que le jeu. Nous passons en effet notre vie à jouer. Ignorant le résultat de toutes les décisions que nous avons à prendre quotidiennement, nous sommes bien obligés de nous en remettre au hasard. Et nous ne pouvons guère qu’espérer avoir fait pour le mieux. Mais que des individus s’adonnent au jeu pour le jeu lui-même, voila qui est mystérieux. A ces possédés d’une passion dévorante, tout est prétexte à pari. Deux goutte d’eau, par exemple : laquelle atteindre la première le bas d’une vitre ? Ils joueront avec n’importe quoi, aussi bien avec des cartes ou des dés, que sur des chevaux, des chiens ou des numéros de loterie. Et tous, ils ont le même trait commun : ils sont incapables de s’empêcher de jouer, donc de perdre (car si on joue beaucoup,à la longue, on perd).
La question se pose alors de savoir pourquoi. Y a-t-il chez l’homme un instinct du jeu ? Sûrement pas, sinon celui-ci se manifesterait très tôt, en même temps que les autres tendances. Si on observe en effet les jeunes enfants. On se rend compte que leurs jeux sont d’ordre purement compétitif. Chacun joue essentiellement pour le plaisir de luter et de gagner grâce à sa force, à son adresse, ou à sa rapidité ; mais jamais n’intervient le hasard. Joue-t-on pour le gain ? il semble bien que non . Car l’enjeu n’est pas forcément de l’argent, ni même un objet utilisable. On raconte que le roi Henri huit d’Angleterre joua aux dés avec un particulier les cloches de l’église Saint-Paul et qu’il les perdit ! Un poème chinois de quatrième siècle a été composé à partir de l’histoire horrible de deux joueurs qui, n’ayant pas d’autre enjeu, parièrent leurs oreilles. L’objet du pari était une feuille de bouleau : après s’être détachée de l’arbre, tomberait-elle sur le sol à l’endroit ou à l’envers§ le perdant se coupa les lobes des oreilles et les présenta au vainqueur sur la feuille de bouleau.
Qu’est-ce donc qui pousse certaines gens à jouer et à risquer de perdre, ce qui ne manque pas d’arriver ? Serait-ce cette tension, cette fièvre qui les saisit après chaque pari et qui leur donne l’impression de vivre intensément ? d’où vient cette émotion, qui fait trépigner les parieurs sur le champ de course, qui saisit aussi bien des messieurs en habits et des dames en décolleté installés autour d’une table de baccara que deux Africains jouant au mbao ? Comment expliquer que des joueurs endurcis sont capables de mettre leur famille sur la paille, comme Dostoïevski ? Cet écrivain russe célèbre était incapable de résister à l’attrait de la roulette tant qu’il lui restait un sou en poche. Il s’endettait alors et les remboursements, quand il pouvait en faire, le laissaient, lui et sa femme, dans une perpétuelle pauvreté. Et que dire de ceux qui, plus courageux ou plus désespérés, au lieu de finir dans la misère, se suicident à la sortie du casino ? On peut parler de fascination, d’intoxication, d’impulsion irrépressible, mais ce ne sont que des mots qui ne nous apprennent pas grand-chose sur la psychologie du joueur.

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