REUTERS - jeudi 1 mai 2008, 20h32
par Emile Picy
PARIS (Reuters) - Nicolas Sarkozy qui avait appelé à "liquider" l'héritage de mai 68 lors de sa campagne présidentielle, n'est-il pas le dépositaire malgré lui de "l'esprit de mai"?
Sa charge contre mai 68 lancée lors d'un meeting parisien, le 29 avril 2007, n'était-elle qu'un exercice imposé, destiné à l'électorat conservateur comme le laisse entendre André Glucksmann, ex-maoïste devenu sarkozyste, dans son livre "Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy" écrit avec son fils Raphaël?
Pour l'ancien "nouveau philosophe", si Nicolas Sarkozy l'a emporté le 6 mai 2007 c'est parce qu'il a su incarner "l'esprit de mai 68" et parce qu'il a pu bénéficier des effets de la "révolution mentale et morale" lancée il y a quatre décennies.
Le candidat de la droite, au printemps 2007 à Bercy, avait stigmatisé les "héritiers de mai 68" -la gauche et surtout les socialistes- et proposait aux Français de "rompre réellement avec l'esprit, avec les comportements, avec les idées de mai 68, de rompre réellement avec le cynisme de mai 68".
Le candidat à l'Elysée dénonçait "l'héritage de mai 68 qui a introduit le cynisme dans la société et dans la politique". "Voyez comment le culte de l'argent-roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portées par les valeurs de mai 68", affirmait-il.
"TOURNER LA PAGE" ?
"Je veux tourner la page de mai 68", résumait le champion de la droite.
Un an après son accession à l'Elysée, si l'on tient compte de sa propre définition de mai 68, Nicolas Sarkozy a-t-il vraiment tourné la page de mai 1968?
Le "cynisme", le "culte de l'argent-roi", "le profit à court terme" et la "spéculation" ont-ils disparu du paysage politique et économique?
Certains faits et gestes du chef de l'Etat n'ont guère contribué à clarifier les choses.
Soirée branchée au Fouquet's pour fêter sa victoire avec ses amis du "show-biz" suivie d'un séjour sur un yacht luxueux prêté par un riche ami industriel, port ostentatoire d'objets de luxe (lunettes, montres), vacances dans des lieux lointains et huppés.
Politique "d'ouverture" -"débauchages", diront d'autres- en direction de personnalités de gauche ou du centre, échanges "virils" lors de déplacements avec des pêcheurs en colère ou bien encore avec un visiteur du salon de l'Agriculture.
Si l'on s'en tient à ce qui est le plus généralement retenu de mai 68, c'est-à-dire, faute d'avoir réussi "à changer le monde", un "déblocage" de la société française sur bien des aspects, là aussi il n'est pas exagéré de dire que "l'esprit de mai" a soufflé sur ce début de quinquennat.
Daniel Cohn-Bendit, qui fut l'un des chefs de file de la révolte étudiante, estime que "68 a commencé une transformation formidable de la société française".
"La preuve, c'est qu'un homme deux fois divorcé est président de la République. Allez chercher il y a 40 ans. Mme de Gaulle, 'tante Yvonne', elle se retourne dans sa tombe", a-t-il déclaré le 16 avril sur le perron de l'Elysée à l'issue d'un entretien avec le président Sarkozy.
"DROITE BLING-BLING"
Pour la première fois, en effet, un homme divorcé faisait le 16 mai 2007 son entrée à l'Elysée entouré d'une famille recomposée. Sa seconde épouse - Cécilia - demandait le divorce quelques mois plus tard.
Et le président abandonné, divorcé une seconde fois, s'affichait quelques semaines plus tard aux bras de Carla Bruni, ex-mannequin et chanteuse, qu'il allait épouser peu de temps après.
Une situation impensable il y a quelques années encore.
Ce n'est qu'après le départ du général de Gaulle de l'Elysée en 1969 que ses successeurs - Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac - purent progressivement lever le voile sur leur vie privée.
Cette accumulation de faits, qui a alimenté une "pipolarisation" de la vie politique et contribué à forger une nouvelle expression, celle de "droite bling-bling", explique en partie la sévère défaite de la droite aux municipales et aux cantonales de mars 2008.
Prenant acte de sa baisse régulière dans les sondages et de l'échec électoral de sa majorité aux scrutins locaux, le chef de l'Etat tente désormais de changer de style.
"J'essaie de corriger mes erreurs. Je pense qu'aujourd'hui les choses sont en ordre", a-t-il déclaré le 25 avril lors de son intervention télévisée.
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