D'abord 320, puis 307 et enfin 243. Une perte sèche de près de soixante-dix collégiens en trois ans. De moins en moins d'élèves, de plus en plus de dérogations. La rentrée a un petit goût amer au collège du Plateau, au Mans. D'année en année, le déclin s'accentue.
Planté au milieu des immeubles de la zone urbaine sensible (ZUS) de Bellevue, le collège se confond presque avec les petits parallélépipèdes blancs sans âme du quartier, là où habite le gros de l'effectif. Etablissement sans histoires mais non sans réussite (93 % au brevet cette année), il subit la méfiance grandissante des habitants de la commune voisine de Sargé. Censées elles aussi scolariser leurs enfants dans ce collège, les familles profitent des nouvelles règles du jeu de la carte scolaire pour s'en détourner.
Au mois d'avril, après examen du nombre des inscrits en 6e, le collège a appris qu'il allait perdre trois classes. A la fermeture attendue d'une 5e et d'une 4e, suite à la chute des effectifs de l'année précédente, une classe de 6e allait disparaître. Trois classes sur douze en un an, l'hécatombe ! Parents et professeurs se sont rebiffés, la 6e menacée a été sauvegardée. Pour le quartier, l'équipe et les parents, c'est le soulagement. Mais ce n'est qu'un sursis.
Etablissement banal, le collège du Plateau rassemble encore ceux qui se mélangent de moins en moins : les enfants des HLM; ceux des maisons Leroy-Haricot, bâtisses mitoyennes bon marché conçues dans les années 1960 pour permettre l'accession à la propriété des familles modestes; ceux des Côteaux de la Gironde, un lotissement plus chic qui jouxte les immeubles; ceux, enfin, de la zone pavillonnaire de Sargé-lès-LeMans, à l'habitat d'un standing très supérieur.
Ni ghetto ni ZEP, il souffre pourtant de la pauvreté grandissante des familles de la ZUS. Le pourcentage des boursiers grimpe en flèche : 18,4 % de boursiers en classe de 3e , 38,5 % en 4e, 41,6 % en 5e, 47,3 % en 6e. Plus d'un tiers des collégiens sont boursiers, dont la moitié au taux 3, celui des minima sociaux. Fini en 6e le "vrai mélange" que les professeurs trouvent encore dans les classes de 3e, là où "on fait le grand écart entre la fille du neurologue et le fils du RMiste", plaisante Sophie Le Guiet, professeur de français. Et c'est justement le découpage de la carte scolaire, millimétré, qui avait réussi à maintenir ce petit monde.
"AVANT, LES PARENTS ALLAIENT DANS LE PRIVÉ, MAINTENANT ILS DEMANDENT DES DÉROGATIONS"
Le Plateau, un cas d'école ? Exemplaire en tout cas de ces collèges "moyens mélangés", comme les a qualifiés le sociologue Marco Oberti dans L'Ecole dans la ville (Presses de Sciences Po, 2007), où se joue l'avenir de la mixité sociale. "Les élèves qui nous quittent sont remplacés par les enfants des plus pauvres", constate le principal du collège, Guy Salmon. "Avant, les parents allaient dans le privé, maintenant ils demandent des dérogations", résume François Blomme, président de la section locale de l'association des parents d'élèves (FCPE).
Il y a deux ans, un incendie volontaire enflamme un container, provoquant dans la foulée l'incendie de la cantine. Violents, les élèves du Plateau ? "Certains parents redoutent la violence, pourtant inexistante. Ils ont peur", explique Marie Garier, professeur de français, en poste depuis six ans dans ce collège. Peur de quoi ? Bellevue, zone urbaine sensible, n'a rien de "sensible" aux yeux des vrais urbains. "Rien à voir avec Saint-Denis [Seine-Saint-Denis] où j'ai enseigné trois ans avant d'atterrir ici", raconte Frédéric Launay, professeur de sciences de la vie et de la Terre. Mais tout est relatif. Vue de l'allée David-Douillet, de la rue Christine-Caron, de celle de Didier-Pironi – Sargé aime les champions ! –, la ZUS de Bellevue ressemble à un chaudron. Puisqu'on lui donne le choix, Sargé-lès-Le-Mans, son golf, son retable, préfère l'entre-soi.
Le privé, avec le collège Saint-Julien qui joue la carte de l'excellence, reste prisé mais c'est surtout au collège public du Villaret, équidistant de celui du Plateau pour les habitants de Sargé, que la concurrence profite désormais. D'autant que, autrefois difficile d'accès aux amateurs de dérogations, il ouvre désormais grandes ses portes. Cette année, 35 élèves s'y sont inscrits par dérogation (sur un effectif de plus de 300 élèves) dont 24 viennent du Plateau.
La réforme de la carte scolaire était supposée mettre un terme au "système de ségrégation qui assignait les élèves à résidence dans leur quartier ", selon les termes du ministre de l'éducation nationale, Xavier Darcos. Vue du Plateau, elle fonctionne en marche arrière. Au lieu de casser un ghetto, tout porte à croire qu'elle contribue à en créer un. Mère de trois enfants dont la dernière fréquente encore le collège, Laurence Boquet a assisté à l'hémorragie. "A l'époque de mes aînés, certains choisissaient bien Saint-Machin ou Saint-Chose, mais la grande majorité allaient au collège du secteur. Les gens faisaient un essai et comme ça se passait bien, ils y laissaient leurs enfants. Aucune dérogation n'était accordée."
Au sein du collège, la fracture entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas se ressent. "Pour les sorties, certains parents ne peuvent pas suivre", raconte Nathalie Fauvel dont la fille, Nolwen, entre en 4e. Sociale, la dégradation est aussi scolaire. "L'an dernier, au conseil de classe de ma fille Blanche, en 6e, j'ai été surprise de constater que la moitié des élèves avaient un an de retard", pointe Laurence Boquet.
C'est peu dire que les profs vivent mal cette chronique d'une mort annoncée. Le rejet du collège est vécu comme une injustice. Le sentiment d'un échec là où l'école pourrait déjouer les destins sociaux. L'impression que c'est leur travail qui est attaqué. "Le seul argument qui est avancé aux élèves pour les inciter à aller vers nous, c'est : Va au Plateau, c'est plus facile. Pourtant, nous sommes le seul collège de la Sarthe à proposer une classe bilangue [français, allemand]. Et le taux de réussite au brevet tourne autour de 90 % depuis plusieurs années !", regrette Marie Garier.
Cette enseignante de français fait partie d'une équipe de trentenaires qui s'efforcent d'enrayer la chute. Pour améliorer la liaison CM2-6e, le prof d'éducation physique, Cédric Fonteneau, a préparé une course d'orientation. Une rencontre poésie a rassemblé plus d'une centaine d'élèves… L'inspection académique, qui a fait machine arrière sur la fermeture de classe, ne leur paraît pas suffisamment active. "Ils avaient dit qu'ils organiseraient des réunions avec les instits de CM2… Nous, on ne peut pas tout faire", s'agace Marie Garier.
ÉLUS IMPUISSANTS, ÉDUCATION NATIONALE DÉSEMPARÉE
Alors, les préjugés et "les fausses représentations" continuent de l'emporter. Bilan : "Sur les 45 élèves inscrits en CM2 à l'école Camille-Claudel, une dizaine a opté pour le Plateau", regrettent les profs. Sachant que l'école communale elle-même subit une érosion démographique, combien seront-ils l'an prochain ?
Nul ne se risque aux pronostics, d'autant que les élus se montrent impuissants à trouver la parade. Comme tous les conseils généraux – en charge de la sectorisation depuis deux ans –, celui de la Sarthe manie cette affaire avec des pincettes. A lui de mettre la pression sur les maires pour qu'ils acceptent de faire bouger les lignes. Pas facile, admet Jean-Marie Geveaux, responsable des affaires scolaires au conseil général.
Tel maire "ne souhaite pas un apport de population de la ZUS" dans le collège situé sur sa commune; tel autre redoute que la perte d'élèves aille de pair avec celle des licenciés des associations sportives, etc. Les mauvaises et les bonnes raisons s'accumulent, et le tracé qui délimite les quartiers et les rues qui dépendent de tel ou tel collège n'a pas bougé d'un iota.
L'éducation nationale apparaît tout aussi désemparée. Sauver la mixité oui, mais comment garder, voire attirer les familles ? "Nous devons donner aux collèges en difficulté des éléments pour se défendre", rétorque l'inspecteur académique, Jean-Claude Rouanet. Maintenir "les moyens humains", c'est sûr, mais aussi jouer sur "l'offre" et "le management".
C'est que, dans un marché devenu concurrentiel, le marketing scolaire a pris de l'importance. Le collège dispose bien d'une classe bilangue et de l'option "découverte professionnelle". Mais ces charmes-là ne valent pas une section sport-études, des classes à horaires aménagés de musique ou des langues rares… proposées ailleurs. Alors, rénover le bâtiment, peut-être ? La reconstruction de la cantine, engagée cet été, est un signal. Muscler l'encadrement du collège ? Sans aucun doute.
Le temps presse. Les parents d'élèves, qui ont jusqu'à présent fait bloc pour défendre l'établissement, n'ont pas vocation de martyrs laïcs. "Vous dire au jour J si mon fils, actuellement en CE1, fréquentera plus tard le collège du Plateau, je n'en sais rien, avoue Nathalie Fauvel. On verra."